Anne Sylvestre

"Toute une vie à l’ombre portée d’Anne Sylvestre, de son talent, puis de son amitié. Et aujourd’hui la longue peine. Lazare et Cécile, c’est la première chanson que j’apprends à chanter en m’accompagnant à la guitare, j’ai quinze ans, on est en 1965. Il me faudra quatre ans pour rencontrer Martine, la première qui succombera à mon charme quand je chante Anne Sylvestre. Martine est mieux encore armée que moi en langage Sylvestre. Trois mois après notre rencontre, quand je voudrai lui dire que je l’aime, j’utiliserai le début d’une chanson d’Anne, et lui déclarerai « Je suis à court de fleurs ». La chanson s’appelait Un coeur sur les bras. Elle disait « Un jour étant à court de fleurs, tu m’as comme ça offert ton coeur, dans un papier sulfurisé, avec une étiquette ». Le message fut reçu cinq sur cinq. Près de cinquante ans après, quand Anne viendra dîner chez nous, elle nous apportera le dépôt Sacem d’Un coeur sur les bras. Il est encadré chez nous dans l’entrée. Entre ces deux événements planétaires, il y eut toute une vie, tant de spectacles d’Anne, des Capucines à l’Olympia, et partout en province. Il y eut la guitare que j’apportais en cours chaque semaine pour expliquer les texte de chanson avec mes élèves. Les chansons d’Anne étaient celles qui tenaient le mieux le coup à l’explication, par la qualité de l’écriture, la richesse des thèmes et leur modernité.   Puis nous nous sommes un peu connus. J’ai eu le bonheur et l’honneur de la voir séduite quand je lui ai proposé d’écrire un livre sur ses mots préférés. Elle nous fit le cadeau de ce merveilleux Coquelicot et autres mots que j’aime. Un livre si beau, tour à tour si poétique et drôle, un livre qui la réconciliait définitivement par le chemin des mots avec les sensations de son enfance. Un premier livre à plus de quatre vingts ans. On disait ça pour rire. Comme si toutes ses chansons n’étaient pas un livre, une oeuvre. Immenses. Anne fut heureuse de Coquelicot, de ce qu’elle sut lui donner, de sa beauté physique, de son écho, de son succès. De l’amitié admirative qu’elle suscita chez Points, avec Marie, Sarah, Anne-Marie. Où était donc son fichu caractère? Nous avons été fiers et si contents près d’elle. La plus grande."   Philippe Delerm   Photo ©Stéphane de Sakutin / AFP